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Fiction et Critique, par Sylvie Ferrando
27 janvier 2015

"Soumission", ou le talent d'un romancier pas si désespéré

Michel Houellebecq, le grand manipulateur de clichés qui confinent aux mythes contemporains -le pouvoir, le savoir, le travail, le sexe- livre avec "Soumission" un roman inventif et assez jubilatoire, qu'il place dans un futur proche, dans une France qui pourrait ressembler à la nôtre, et qui un peu brutalement, décroche, part à la dérive.

Le narrateur, François, prénommé ainsi pour représenter la langue et le peuple français, est un spécialiste de Huysmans, professeur d'université en littérature du XIXe siècle à Paris 3, la Sorbonne nouvelle, après avoir fait ses études à Paris IV, l'ancienne Sorbonne. Le premier chapitre, qui relate son parcours universitaire depuis les débuts de sa thèse, produit un effet de jouissance comique sur les anciens étudiants de lettres de Paris-Sorbonne. Nostalgie ou catharsis, c'est selon. Quoi qu'il en soit, les premières pages, très finement écrites, embarquent le lecteur dans la narration.

Il y a beaucoup de dérision et/ou d'auto-dérision chez Houellebecq, le lecteur n'est pas dupe et se moque avec lui de l'outrance, des excès des personnages : le narrateur, trop dépressif, trop ou trop peu sexuel, ses collègues, trop opportunistes lorsque le pouvoir saoudien se met en place, ou trop "gender studies" (les clichés, toujours les clichés), les étudiantes ou escort girls rencontrées ou encore les femmes des caciques de l'université devenus polygames, trop monolithiques, trop soumises.

Le narrateur fait -au minimum- du sur-place, comme l'indique la lecture programmatique de "A rebours", "En ménage", "En rade", trois oeuvres essentielles de Huysmans dans lesquelles il se plonge alternativement dans une bonne partie du roman. Ce narrateur pourrait être attachant s'il n'était pas si a-sentimental, analysant chaque événement avec une si grande lucidité qu'elle fait barrage à toute émotion, à toute possibilité d'amour. Son bagage intellectuel et son travail d'annotation de la Pléiade, d'une certaine façon, le sauve.

Je suis moins convaincue par l'aspect politico-religieux de l'ouvrage -l'élection à la présidence de la République du chef du parti des Fraternités musulmanes, et les soubresauts politiques que cela entraîne parmi les hommes et les femmes politiques français existants. Cette France en crise devrait faire verser le roman dans la farce -pas toujours néanmoins.

Au terme de ma lecture, la question demeure : La littérature doit-elle être désespérée, et de ce fait désespérante ? A-t-elle, pour objectif ou pour méthode, une amère lucidité ? Et si cette fable morale n'était au fond qu'un plaidoyer contre le mariage -mariage unique, mariage forcé, mariage polygame- et un hymne à une nouvelle vie, à une deuxième chance à saisir, sans regrets ? "Je n'aurais rien à regretter." sont les derniers mots du roman.

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