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Fiction et Critique, par Sylvie Ferrando
15 février 2015

La fête de la musique sous le signe de la reconnaissance aux pavés disjoints

Etant très légèrement agoraphobe, je suis habituellement peu attirée par les manifestations de foule et par les fêtes nationales populaires, non pas par absence de goût théorique ou idéologique pour celles-ci, mais par malaise physiologique.

Néanmoins, en ce 21 juin 2014 (ou peut-être était-ce en 2013, ou en 1913... ou encore un jour de la Saint-Valentin, la fête qui indexe l’amour à l’argent), mes pas me portèrent de la Butte-aux-Cailles à la place Sainte-Catherine à Paris, écoutant -de loin- les rythmes, les mélodies et les voix s'exprimer.

Légère et court vêtue en raison de la chaleur de la nuit de la Saint-Jean, je passai ainsi d'un jeune groupe aux influences reggae et ska à un groupe plus mûr inspiré par le rock des sixties et seventies.

Un peu à l'écart de la foule pour éviter la bousculade et le piétinement, j'écoutais et regardais les chanteurs et musiciens s'agiter sur la scène quand, d'un seul coup, en éprouvant avec mes pieds le léger dénivelé des pavés disjoints de la place Sainte-Catherine, à Paris, je reconnus une trace du passé enfoui qui resurgissait, par saccades, au rythme des cymbales et du charleston, de la grosse caisse, de la caisse claire et des toms. Ici c'était Charlus, le visage fardé masquant un début de couperose, qui soufflait en grattant les cordes de sa guitare, tandis que la marquise de Cambremer, les seins encore visibles sous sa robe à paillettes, remuait des fesses en levant les bras en cadence. Là c'était Jupien, le regard en biais, un peu ventripotent, qui tapait sur son clavier ou pinçait les cordes de la basse, alors que la duchesse de Guermantes se trémoussait langoureusement, et puis Norpois, le docteur Cottard, Charles Swann lui-même, les yeux cernés de bleu à force de sorties nocturnes, masquant leur léger bedon et leurs poignées d'amour sous la belle coupe d'une chemise de haute couture, tapant du pied pour marquer le tempo ; c'était tout un monde qui sortait, brusquement, de mon esprit embrumé par le souvenir, ou bien de mon imagination, je ne savais, alors que mes pieds étaient arrimés au sol, sur les pavés disjoints de la place Sainte-Catherine, à Paris.

Et les enfants, encore debout à cette heure de la nuit, médusés, appâtés, effrayés, excités, assistaient à ce spectacle, muets devant ces pantins, ces marionnettes, ces clowns agités, vies aléatoires rencontrées un jour, à Paris.

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