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Fiction et Critique, par Sylvie Ferrando
7 mars 2016

"Les liaisons dangereuses" au théâtre, entre libertinage et tragédie.

Les Liaisons dangereuses 1, théâtre du Vieux Colombier, 7 mars 2016

Les Liaisons dangereuses 2, théâtre du Vieux Colombier, 7 mars 2016

On peut voir au théâtre de la Ville le spectacle des "Liaisons dangereuses", adapté et mis en scène par Christine Letailleur, avec l'extraordinaire Dominique Blanc dans le rôle de Mme de Merteuil, et les non moins excellents Vincent Perez en Valmont, Fanny Blondeau en Cécile de Volanges, Julie Duchaussoy en Mme de Tourvel, Manuel Garcie-Killian en Danceny...

Le découpage rigoureux du très piquant roman épistolaire de Choderlos de Laclos pour la mise en scène met en lumière une première partie proche du vaudeville, avec des allées et venues et des portes qui claquent, et des fantaisies de ton et de postures corporelles proches de celles du "Mariage de Figaro" de Beaumarchais, suivie d'une deuxième partie sombre, accompagnée du battement sourd d'un tocsin annonciateur des destins broyés : la machinerie insidieuse mise en marche par les intelligences perfides des deux principaux protagonistes est inexorable.

La vivacité et la fraîcheur de la jeune Cécile (on se rappelle en souriant ses "Joséphiiiiiine !") s'éteint peu à peu à mesure que l'intrigue autour d'elle se noue et s'épaissit, tandis que Mme de Tourvel se trouve confrontée à un cas de conscience et à une trahison dont elle ne sortira pas indemne. Tout cela se fait à leurs corps défendant. Mais insister uniquement sur le statut de victimes de ces deux personnages, femmes de surcroît, c'est conforter la seule interprétation morale de la pièce, écrite juste avant la Révolution française, qui conduit tout naturellement les deux instigateurs à leur perte. La boucle est bouclée et la morale est sauve.

Une autre approche consiste à s'intéresser de plus près aux motivations de la marquise de Merteuil, veuve de bonne heure et jouissant d'une liberté exemplaire et d'un sens de la société libertine de son temps qui lui permet de manipuler les personnes de son entourage et les relations qui s'instaurent entre elles pour servir le plaisir et le pouvoir qu'elle en tire. Le vicomte de Valmont, au début réfractaire à son projet de vengeance, entre dans son jeu quand la situation se modifie et que ce projet se met à servir ses intérêts à lui aussi. Il devient, si l'on peut dire, l'instrument, le bras qui sert sa maîtresse.

Merteuil est en effet une maîtresse aux deux sens du terme : le sens libertin et celui qui lui donne une force, une maîtrise d'elle-même lui permettant, le cas échéant, aussi bien de cacher son ressentiment que de résister aux plaisirs charnels. Merteuil, au fond, est une dissimulatrice lucide.

Enfin, le brio de la pièce tient à la qualité du dialogue qui s'instaure entre Merteuil et Valmont, liés de façon évidente l'un à l'autre par cette rigueur, cette précision dans le langage décrivant avec distance et charme les sentiments et les affects que l'on nomme l'esprit, et qui, au-delà du venin distillé par les mots, fait rire et sourire.

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