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Fiction et Critique, par Sylvie Ferrando
6 mars 2016

Femmes de lettres, femmes de pouvoir : De George Sand à Marguerite Yourcenar et au-delà

Femmes de lettres… Le terme un peu désuet évoque les salons des XVIIe et XVIIIe siècles, dans lesquels la fine société lettrée débattait des idées intellectuelles contemporaines en lisant des textes ou en se livrant à des jeux d’esprit. Les femmes qui tenaient ces salons littéraires –Catherine de Rambouillet, dite Arthénice, Madeleine de Scudéry, Ninon de Lenclos, Madame du Deffand, Madame Geoffrin- étaient plus connues pour leur hospitalité et leur talent à animer les soirées que pour leur œuvre. Toutefois, quand les femmes prennent la plume, c’est, au moins autant que les hommes, pour exprimer leur pensée et acquérir une forme de pouvoir. La diffusion des idées, la parution d’un livre ou d’un journal draîne et irrigue la société, les consciences, le monde, attire l’attention des lecteurs, touche un public.

Pour autant, cet engagement par l’écriture s’est heurté et se heurte encore à des difficultés, à des résistances.

Au XIXe siècle, Amantine Aurore Lucile Dupin, baronne Dudevant, châtelaine de Nohant, quitte le Berry où elle a été élevée pour venir à Paris et prend le nom de plume de George Sand, sous lequel elle rédige une œuvre prolifique. George sans le s, prénom masculin en anglais, et que la romancière britannique George Eliot adoptera elle aussi. George Sand aurait-elle eu le succès littéraire que l’on sait si elle avait publié sous le nom d’Aurore Dupin ? Elle est la première à avoir conjugué et revendiqué une sensibilité de femme, de mère et d’amante, et un état civil d’homme.

Au XXe siècle, Sidonie-Gabrielle Colette, plus connue sous le nom de Colette, échappe à l’emprise intellectuelle de son mari Henri Gauthiers-Villars, dit Willy, pour signer, seule et de son nom, la série des Claudine et les œuvres qui suivent. Elle mène une vie de femme libre, dont la réputation un peu sulfureuse lui vaut d’être célébrée ou vilipendée par la presse, mais elle est également la deuxième femme élue membre de l’Académie Goncourt, en 1945. D’autres femmes la suivront dans cette fonction prestigieuse de jury de prix littéraire, comme Edmonde-Charles Roux, qui occupa la présidence de l’Académie Goncourt de 2002 à 2014 et céda sa place à Bernard Pivot.

Certaines femmes de lettres se rapprochent du pouvoir politique en place, appelées par le président de la République au titre de conseillères littéraires ou culturelles, ou écrivains missionnées pour une tâche d’écriture. Parmi les premières, on trouve celles qui ont été dans l’entourage de François Mitterrand, comme Marguerite Duras, Françoise Sagan ou Laure Adler, avec qui le président entretient l’art de la conversation, et qui l’accompagnent dans certains de ses voyages ou réceptions ; Yasmina Reza, pour sa part, suit la campagne électorale de Nicolas Sarkozy afin d’écrire un livre-enquête qui paraît en 2007.

D’autres femmes de lettres accèdent au rang d’académiciennes, élues au fauteuil de l’Académie française pour leurs travaux d’helléniste comme Jacqueline de Romilly (1988), d’historienne comme Hélène Carrère d’Encausse (1990), qui en est la secrétaire perpétuel(le) depuis 1999, ou d’écrivain au plein sens du terme comme Marguerite Yourcenar (1980), à la fois romancière, traductrice, essayiste et critique littéraire, première femme à être élue parmi l’assemblée des Immortels, grâce au soutien actif de Jean d’Ormesson.

D’autres femmes encore, épaulées ou non par des hommes, formant des couples tantôt nécessaires, tantôt éternels, ont accédé au rang d'icônes féministes grâce à leurs écrits. Françoise Giroud, femme de presse, fonde en 1953 le magazine l'Express avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, et revendique son statut de journaliste engagée et indépendante, qui la conduit à s'engager également en politique comme secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargée de la condition féminine, de 1974 à 1976. Bien sûr Simone de Beauvoir, philosophe féministe qui forme avec Sartre un couple abstrait indissociable, a marqué la deuxième moitié du vingtième siècle de sa réflexion sur la condition des femmes. On peut citer également Benoîte Groult, journaliste, écrivain et militante féministe qui, avec sa soeur Flora, a beaucoup oeuvré à la transformation de la condition féminine, tant dans la société que dans le langage en participant à la commission de féminisation des noms de métier.

Aujourd’hui toutefois, être « femme de lettres » ne suffit pas, il faut avoir plusieurs cordes à son arc et savoir non seulement écrire de la fiction, des essais, des chroniques, des livrets d’opéra, des scénarios pour la télévision, mais aussi animer des émissions radiophoniques, donner des cours à l’université ou dans les grandes écoles, éventuellement à l’étranger, intervenir dans les masters de création littéraire, tenir un blog et utiliser les ressources du Web : un travail à temps plein, un métier polyvalent, interdisciplinaire, à compétences multiples. Des auteures comme Annie Ernaux ou Camille Laurens, Christine Angot, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Maylis de Kerangal ont la plume et la visibilité nécessaires à ce nouveau profil.

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Commentaires
S
Oui, j'en ai oublié quelques-unes, et même de nombreuses… Merci.
N
Vous avez oublié Madame du Deffand!
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