Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Fiction et Critique, par Sylvie Ferrando
27 décembre 2015

"Père" d'August Strinberg, ou la tragédie du mariage...

Je connaissais les pièces d'Ibsen et de Strindberg portant sur l'émancipation de la femme en Europe du Nord à la fin du XIXe siècle ("La Maison de poupée", "Mariés !"). Je connaissais moins l'intérêt passionné qu'Arnaud Desplechin voue au théâtre, jusqu'à adapter deux pièces pour le cinéma ("Léo, en jouant 'Dans la compagnie des hommes' d'Edward Bond et "La Forêt" d'Alexandre Ostrovski) et, en 2015, se lancer à la Comédie française dans la mise en scène du "Père" de Strindberg, écrite en trois semaines pendant l'année 1887, alors que l'auteur suédois, âgé de 38 ans, était marié depuis dix ans à la baronne finlandaise Siri von Essen et que cette union tourmentée mettait à l'épreuve sa santé mentale, déjà fragile, qui allait ensuite verser dans la paranoïa avec deux autres mariages malheureux.

Nul doute que Strindberg transpose ici quelque chose de son expérience personnelle dans cette lutte perverse et opiniâtre de deux cerveaux liés par contrat et en concurrence intelligente l'un avec l'autre. L'argent du ménage, l'éducation de leur fille, le choix de la domesticité, tous les sujets propres à un couple de la bourgeoisie du tournant du siècle sont abordés, dans lesquels on voit les différences d'opinion de deux êtres se faire face, de façon violente, jusqu'à la névrose : le Capitaine gère mal ses biens, souhaite que sa fille Berthe devienne institutrice, supporte sous son toit sa belle-mère et les opinions religieuses de son beau-frère le pasteur, Laura, sa femme, désire que Berthe reste à la maison pour faire de la peinture, supporte mal que son mari ait des activités scientifiques, jusqu'à subtiliser son courrier, et -vengeance suprême de sa condition asservie de femme- instille en lui le doute quant à sa paternité.

Symbole de l'autorité, le Capitaine voit dès le début de la pièce ses avis mis en doute, la suspicion de folie est savamment entretenue par Laura auprès des autres personnages, et en particulier du nouveau médecin de famille, et tous les éléments de la tragédie sont présents pour amener la pièce jusqu'à son dénouement fatal. Les jeux des acteurs sont magnifiques de bout en bout, si bien que le spectateur oscille souvent entre la compassion et le malaise, sans pouvoir aisément porter de jugement.

Desplechin parle d'un "amour" encore vivant et palpable entre deux êtres mis à mal par les lois sociales. Pour moi, le seul amour qui subsiste est celui que ressentent Berthe pour ses parents et la nourrice du Capitaine pour ses maîtres, seules figures lumineuses dans cet imbroglio familial d'où les protagonistes ne peuvent sortir que brisés.

Publicité
Publicité
Commentaires
Fiction et Critique, par Sylvie Ferrando
Publicité
Archives
Fiction et Critique, par Sylvie Ferrando
Visiteurs
Depuis la création 6 175
Albums Photos
Pages
Publicité