"Légende d'amour" : Un ballet orientalisant des années 1960 au Bolchoï

En 1961, le chorégraphe Youri Grigorovitch crée "Légende d'amour", sur un livret de l'écrivain turc Nazim Hikmet. Il est rapidement invité au Bolchoï pour y donner ce ballet et restera par la suite directeur artistique dans ce théâtre.

Le ballet, qui revient sur la scène moscovite après dix ans d'absence, est retransmis en France sur les grands écrans de certains cinémas parisiens.

J'avais gardé de la troupe du Bolchoï l'idée de ballets classiques, en tutus de satin et tulle. J'ai été enchantée, ravie, transportée par un spectacle d'une belle modernité, oriental sur le plan visuel, occidental -plus proche de mes standards- sur le plan musical.  

Spectacle oriental surtout par les costumes -turbans, uniformes à dorures des soldats et des gardes, voiles des femmes prolongeant leurs chevelures, vieillard en toge...- et par les mouvements, en particulier ceux des mains, qui se tendent sans arrondir les doigts, sur le modèle des figures égyptiennes ou des miniatures persanes.

La modernité tient à la symbolique des couleurs, blanc pour la princesse malade, puis amoureuse et aimée, bleu sombre, rouge et enfin noir pour la reine qui fait le sacrifice de sa beauté, qui use de son pouvoir et qui sait qu'elle restera seule, et puissante. Elle tient aussi à la thématique peu habituelle du ballet : le devoir ou le travail plutôt que l'amour, faisant, retournement du destin, de la princesse aimée la victime de la volonté de sa soeur. Elle tient enfin aux émotions magnifiquement mises en scène et portées par la chorégraphie, les corps remarquablement arqués, élancés, un ensemble à la fois gymnique et doux, traduisant tour à tour la passion amoureuse, la colère, le désespoir, la détresse, l'autorité. Rien de fade dans "Légende d'amour", dont la fin, bien éloignée de celle d'un conte de fées européen, se rapproche des valeurs du socialisme soviétique.