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Fiction et Critique, par Sylvie Ferrando
1 octobre 2014

"Trahisons" de Pinter : anatomie d'une liaison

Comment se fait-il que Pinter réussisse si bien à nous émouvoir, à nous emporter dans les entrelacs de la relation triangulaire mari - femme - amant, dont il saisit si bien les ressorts ?

Au théâtre du Vieux Colombier, dans une mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, la belle et sculpturale Léonie Simaga prête son corps à Emma, tandis que Denis Podalydès incarne Robert, le mari, et que Laurent Stocker est l'amant.

L'habileté du scénario tient en deux éléments : l'amant est le meilleur ami du mari, l'intrigue est remontée à l'envers, la scène 1 s'ouvre en 1977, sur le dénouement, et la scène 9 se clôture sur la déclaration d'amour qui a lieu en 1970, lors d'une fête chez Robert et Emma. Ainsi le spectateur sait ce qui va advenir. Chacune des scènes intermédiaires dénoue les jeux de non-dits : qui sait quoi ? A quel moment et comment l'a-t-il appris ?

L'acmé de la pièce est certainement la scène du séjour à Venise, où Robert et Emma sont à l'hôtel, et où une lettre de Jerry est arrivée.

Le contexte dramatique est également passionnant : Robert est un éditeur de fiction quelque peu désabusé, Emma dirige une galerie d'art et Jerry est un agent littéraire encore enthousiaste et passionné, qui découvre de nouveaux talents que Robert publie parfois -deux de ces écrivains sont comme des personnages secondaires qu'on ne voit jamais -tout comme les enfants des deux couples et la femme de Jerry-, mais dont on parle abondamment.

Ce qui donne à la fois l'impression de charme et de lourdeur du texte, ce qui fait qu'on a le coeur sur les lèvres lorsqu'on entend les personnages parler, c'est ce minimalisme des dialogues, les répliques qui se répètent, les silences, les regards échangés, la retenue des émotions -toute britannique chez Robert, plus exaltée chez Jerry.

Peut-être finalement l'incommunicabilité entre les trois personnages -même Emma et Jerry n'y échappent pas, à la longue, dans le studio qu'ils ont loué dans la banlieue de Londres et où ils reproduisent une configuration amoureuse et familiale de départ, d'origine, un amour sans contingences- vient d'une absence d'expression langagière propre aux protagonistes, devenus des adultes responsables, si sérieux et entrés dans des rôles sociaux balisés qui les corsètent.

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